SOUFFRANCES AU TRAVAIL

 

Méfaits du néo-libéralisme constatés dans la pratique médicale en cabinet :

 

Progressivement dans les années 90, notre activité professionnelle s’est vue modifiée par l’émergence de nouvelles problématiques médicales en lien avec la réorganisation de type néo-libérale dans les activités professionnelles (modification incessante des horaires, travail de nuit, travail sur appel, contrat temporaire, automatisation du travail avec densification des tâches, travail en urgence, délocalisation du travail avec travail monotone et répétitif, employé(e)s interchangeables, compression du personnel,…).

 

Les personnes consultent non seulement pour des problèmes médicaux : maux de dos, céphalées, tendinites(1,2,3), hypertension (4), maladies cardiovasculaires(5), malaises, accidents, troubles du sommeil, troubles anxieux, dépression, stress(6), consommation d’alcool et/ou médicaments(7), mobbing,…(cf histoires cliniques annexées) comme différentes études le relèvent (8), mais également pour obtenir toutes sortes d’attestations (certificats d’arrêt de travail, certificats de maladie lors de licenciement, expertises médicales, certificats concernant un mobbing,…) afin de faire valoir leurs droits et de ne pas être pénalisées au sein de leur entreprise et/ou dans les services publics (chômage, office cantonal de l’emploi, Hospice Général,…).

 

Un nouveau secteur de l’économie est né : la médicalisation des problèmes socio-économiques.

 

En temps que médecin, il est de notre devoir de reconnaître au cours de nos consultations médicales, celles qui sont occasionnées par des pathologies en lien avec les problèmes professionnels (cf supra), au même titre que nous avons appris à reconnaître les liens entre les cancers de la plèvre et le travail avec l’amiante ou l’apparition de phénomène vasospastique de type Raynaud chez les ouvriers utilisant des marteaux piqueurs de manière prolongée. De la sorte, nous pourrons aider nos patients à faire les liens entre leurs problèmes de santé et leurs conditions de travail ; ils auront ainsi la possibilité d’exprimer leur souffrance individuelle et de faire des démarches avec la collectivité pour essayer de remédier aux aberrations du système néo-libéral de management dans les entreprises en s’aidant par exemple des syndicats ou d’autres associations de travailleurs.

 

Nous nous devons également de dénoncer l’apparition de ces nouvelles pathologies qui occasionnent des coûts directs et indirects très importants pour la collectivité et qui témoignent du mépris des nouveaux patrons pour les travailleurs en temps qu’être humain, qu’ils considèrent comme des ressources humaines, bonnes à jeter lorsqu’elles ne sont plus rentables ; alors même que ces entreprises augmentent leur marge de bénéfice de manière indécente.

 

Nous devons utiliser nos connaissances et notre situation privilégiée concernant la récolte d’informations très précieuses au près de nos patients (9), pour publier des documents d’analyse et des travaux de recherche afin d’influencer les décisions politiques dans le domaine de la santé et prévenir sa marchandisation  dans une économie néo-libérale.

 

 

 

De fait, tous les frais liés aux pathologies du travail devraient être pris en charge par une caisse de type CNA en temps que maladies professionnelles. Ceci concernerait non seulement les frais liés aux investigations médicales et aux traitements mais aussi les frais administratifs liés aux démarches multiples (attestations médicales pour le travail, les assurances perte de gain, le chômage, …visites chez le médecin conseil, reclassement professionnel,…).

 

Parallèlement, les médecins doivent pouvoir recevoir une formation plus spécifique dans le domaine de ces nouvelles pathologies professionnelles afin de pouvoir faire les liens qui s’imposent et ne pas banaliser la souffrance de leurs patients, perdus dans des problématiques socio-professionnelles. Ils doivent apprendre à introduire dans leur anamnèses médicales des questions spécifiques quant aux liens possibles entre les symptômes et les conditions de travail actuelles. Ceci afin de dépister au plus vite la cause réelle de la maladie, avant que la situation ne soit trop dégradée, tout comme ils ont appris à le faire pour dépister les problèmes de dépressions masquées ou l’alcoolisme (10).

 

 

 

Comité Septembre Blanc, le 02.10.2001

 

 

 

1 : Lemasters GK., Atterbury MR., Booth-Jones AD., et al.: Prevalence of work related musculoskeletal disorders in active union carpenters. Occup Environ Med. 1998; 55(6): 421-427.

2 : Morse TF., Dillon C., Warren N., et al.: The economic and social consequences of work-related musculoskeletal disorders: the Connecticut Upper-Extremity Surveillance Project (CUSP). Int J Occup Environ Health. 1998; 4(4): 209-216.

3:  Kuorinka I., Forcier L.(dir) et al. : Les lésions attribuables au travail répétitif. Ouvrage de référence sur les lésions musculo-squelettiques liées au travail. Ed. Maloine, Paris,1995.

4 : Niedhammer I., Siegrist J.: Facteurs psychosociaux au travail et maladies cardiovasculaires: l’apport du modèle  du Déséquilibres Efforts Récompenses. Rev Epidém  et Santé Publ .1998 ; 46(a) :398-410.

5 : Tenkanen L., Sjoblom T., Kalimo R., Alikoski T., et al.: Shiftwork, occupation and coronary heart disease over 6 years of follow up in the Helsinky Heart Study. Scand J Work Environ Health. 1997; 23(3); 257-265.

6 : Ramaciotti D., Perriard J. : Les coûts du stress en Suisse. Zürich, seco-Ressort Arbeit und Gesundheit. 2000

7: Torgler J. et al.: Consommation  de médicaments chez les médecins en formation. Travail de Thèse de Médecine. Faculté de Médecine de Genève. A paraître. Genève 2001.

8 : Usel M., Conne-Perréard E.,Parrat J., et al. : Effets de conditions de travail défavorables sur la santé des travailleurs et leurs conséquences économiques. Conférence Romande et Tessinoise des Offices Cantonaux de Protection des travaux. A Paraître. 2001

9: Wasem L., Holtz J., Decrey H.,  et al.: Le médecin praticien: un acteur important dans le dépistage des problèmes de santé liés au travail. Actes des XIXèmes Journées franco-suisses de médecine du travail. 2001 ; 39-43

10 : Wasem L., Holtz J., Decrey H., et al.: L’anamnèse professionnelle en médecine de premier recours: présentation d’un questionnaire de dépistage des problèmes de santé liés au travail. Rev Med Suisse Romande. 2001 ; à paraître.


Annexes :

 

 

Souffrance au travail -histoires vécues :

 

 

Gérard, 42 ans, employé à la Société de Banque à Fric (SBF), doit subir une grave opération d’un cancer du colon. Il a toutes les chances d’être guéri définitivement après son traitement opératoire. La SBF, ayant décidé de «dégraisser» et devant se débarrasser de 250 employés au plus vite, lui envoie une assistante sociale dans sa chambre d’hôpital, la veille de son opération, pour l’inciter à faire une demande d’AI. Pour Gérard, célibataire, son travail et ses copains de travail, ç’est sa vie. Il a envie de guérir. Son moral chute au plus bas au moment où il aurait besoin d’être soutenu avant de «passer sur le billard». Cette méthode de licenciement est criminelle. (histoire vraie légèrement modifiée).

 

 

 

Sylvie, 51 ans, responsable de la gestion des activités des employés à la Swiss Pomm Assurance, 30 ans de service, adore les contacts humains. Du jour au lendemain, on lui dit que dorénavant, elle sera devant 3 ordinateurs pour tout gérer plus vite sans sortir de son bureau, sans plus aucun contact humain… et sans véritablement la former en informatique…

Seule, sans soutien de ses chefs, elle est dépassée par ce que l’on lui demande. Elle se met à faire des malaises à répétition et est hospitalisée pour un bilan complet qui ne montre rien d’anormal. Ses malaises ne cessent qu’avec la prise de médicaments antidépresseurs. Ses chefs étant compréhensifs, elle attend dans un bureau vide au sous-sol et sans fenêtre, et en passant son temps à lire le journal, une retraite anticipée qui ne sera pas bien lourde… (histoire vraie légèrement modifiée).

 

 

 

Maria, 52 ans, depuis 30 ans en Suisse, responsable du nettoyage dans l’entreprise Tout Est Propre depuis 25 ans, nommée 2 fois meilleure employée de l’entreprise, élève seule ses 2 enfants encore aux études. Depuis quelques temps, l’ambiance au travail était un peu bizarre et des bruits de licenciements courraient. Elle en était devenue un peu insomniaque et prenait des cachets pour dormir. En arrivant un lundi matin, elle trouve son bureau vide. Son chef lui dit qu’on n’a plus besoin d’elle, qu’elle peut rentrer à la maison et qu’elle recevra encore son salaire pendant 3 mois… et c’est tout. Aucun remerciement pour ces 25 années de bons et loyaux services. Courageuse, elle s’inscrit au chômage, mais ne trouve rien. Trop âgée. Au RMCAS, on la met à l’emploi temporaire pour du ménage lourd, qui est trop dure pour son âge et son état de santé. Elle n’a plus d’argent pour payer les études de ses enfants. Son fils a dû interrompre ses études, il est au chômage, il se met à boire, devient violent et la bat. Un jour, elle saute de son balcon du 8e étage. (histoire vraie légèrement modifiée).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Antonio, 24 ans, a eu beaucoup de peine à trouver du travail. Après plusieurs années de chômage et d’emploi temporaire, il trouve une place dans l’entreprise Bouffe en Gros. Ils sont 4 dans un bureau pour faire les commandes pour toutes les succursales de Suisse Romande. Le travail lui plaît car il a l’impression d’avoir des responsabilités. Seulement voilà… la direction zurichoise a décidé que dorénavant toutes les commandes suisses se feraient par un ordinateur central. Antonio et ses 3 collègues doivent malgré tout, encore pendant 2 ans, venir chaque jour à leur bureau pour faire des commandes « fictives » destinées à être comparées à celles de l’ordinateur qui effectue les vraies commandes. Il passe donc ses journées à prendre des décisions qui ne serviront …à rien. Son moral de dégrade, d’autant qu’il sait qu’à l’issue des 2 ans, l’entreprise ne gardera qu’un employé sur les 4 du bureau. Les rapports entre eux deviennent tendus. Antonio a l’impression d’être méprisé, inutile,…Il commence à ne plus aller travailler et passe ses journées au bistrot, sans le dire à sa femme. Un soir, ivre, il sort son pistolet militaire et menace de se suicider devant ses 2 enfants. Il est emmené à Bel-Air (histoire vraie légèrement modifiée).

 

 

 

Florença, 40 ans, requérante d’asile, vit en Suisse avec ses 3 enfants. Son mari a été assassiné.

Elle doit réapprendre le métier de coiffeuse alors qu’elle était institutrice. Elle est obligée de travailler 44 heures par semaines, en particulier tous les samedis. Pendant ses heures de travail, elle emploie une jeune-fille péruvienne, illégale en Suisse, pour s’occuper de ses 3 enfants car toute la famille est décédée au pays. Epuisée, elle consulte pour des migraines et un trouble anxieux  majeur, elle nécessite un traitement d’anxiolytique et un arrêt de travail.

Sur les conseils de son assistant social, elle envisage de demander une rente à l’AI pour ne pas accumuler de dette à l’Hospice Général, car elle n’a pas de salaire  lorsqu’elle ne travaille pas étant payée à l’heure. (histoire vécue légèrement modifiée)

 

 

ETC.